« Mari Semper Altior » ! Fière devise d’Abidjan, une cité confiante depuis sa création, en sa destinée de métropole. Défi peu risqué d’une ville qui sait pouvoir compter sur les nombreuses ressources de la mer. Abidjan a déjà fait beaucoup parler d’elle. Mais trop d’écrits se sont complu dans une imagerie de cartes postales, reprenant à l’envi des clichés projetés sur bien de grandes métropoles. J’ai voulu pour ma part, rompre avec les lieux réconfortants et les prises de vue flatteuses pour vous offrir une image dépouillée de l’auréole avantageuse. Découvrons donc ensemble les illusions perdues de la ville d’Abidjan.
La devise d’Abidjan était au départ « portus et porta » c'est-à-dire « le port et la porte » car la ville semblait, de par sa position géographique, ouverte à toutes les influences. L’administration coloniale, en choisissant la nouvelle formule « Mari Semper Altior » a sans doute voulu confirmer la vocation portuaire d’Abidjan, destinée d’abord aux échanges commerciaux entre la mère patrie et la colonie et l’on mesure l’ambition qu’elle nourrissait pour cette ville. Abidjan « Mari Semper Altior » signifie en effet, Abidjan « toujours plus haut grâce à la mer » certes, mais aussi « toujours plus haut que la mer » - l’ambiguïté de la phrase latine autorise cette autre lecture – « ville altière qui jamais ne se laissera submerger par les flots d’une quelconque tempête ».
Le plan d’aménagement de l’agglomération abidjanaise révisé en 1974 avait tenté de modérer les ambitions grandioses de la ville, mais continuait à se fonder sur l’hypothèse d’une conjoncture économique favorable, où les revenus des ménages s’accroîtraient sensiblement. Or, au début des années 1980, les effets conjugués du second choc pétrolier, du cours défavorable du dollar et de la baisse dramatique des prix du cacao et du café ont considérablement appauvri l’Etat ivoirien, pris à la gorge par le poids grandissant de sa dette et la réduction catastrophique de ses ressources propres.
La crise entraîne la baisse du pouvoir d’achat des Ivoiriens, la diminution du nombre des expatriés et la dissolution de bon nombre d’entreprises publiques chargées de la construction et du développement, réduisant du coup l’expansion de la ville et les activités du bâtiment et des travaux publics.
C’est alors que se fait sentir l’accroissement des coûts d’équipements et de fonctionnement liés à l’importante superficie de la ville. Le pays doit tirer les conséquences de la crise et vivre selon ses moyens ; ce qui signifie pour Abidjan, une baisse des investissements et une révision des normes utilisées jusqu’alors.
D’abord, en tant que poumon des activités économiques du pays, Abidjan subit un afflux important et incessant de mouvements migratoires de populations difficiles à maîtriser avec tous les risques que cela comporte. En conséquence, elle détient le plus fort taux de chômeurs et de déscolarisés du pays et les indicateurs dans le domaine de l'emploi sont défavorables à ses résidents.
Malgré le ralentissement de la progression de la population dû à la crise, le renversement de la tendance démographique n’est pas sensible au même degré dans tous les quartiers. La plus grande partie de la population se retrouve à présent dans le nord de la ville, sans doute parce que les logements y sont moins onéreux. Malheureusement, les emplois n’ont pas suivi le même trajet et la distance domicile – emploi se trouve allongée alors que les infrastructures et les équipements de transport n’ont pu être réalisés.
L’urgence d’une amélioration des moyens de transport se fait donc sentir. L’exploitation de la voie ferrée s’étant révélée difficile à mettre en œuvre, seule reste la solution de la circulation lagunaire, qui, même si elle fonctionne bien, demeure très limitée. Par ailleurs, les différents plans d’urbanisme inspirés du plan Badani publié en 1952, ont perdu de vue qu’Abidjan est une ville africaine dont les habitudes culturelles sont différentes de celles de l’Europe choisie comme modèle et que les revenus des Ivoiriens sont extrêmement limités. On ne s’étonnera donc pas qu’Abidjan apparaisse comme une ville conçue pour d’autres que ceux qui l’habitent.
L’insuffisance des équipements hospitaliers est un des nombreux symptômes de l’inadéquation des choix opérés par les planificateurs. L’hôpital central par exemple, qui devait être le fleuron des structures hospitalières de la capitale, s’est mué subrepticement en un « hôpital de jour » fantôme, avant de devenir un consortium de maquis masqué pudiquement par des murs crus.
La quasi-totalité des quartiers offrent le spectacle des déchets entassés pendant que l’insécurité grandit de façon inadmissible. On peut alors se demander à juste titre si la fière devise « Mari Semper Altior » inscrite au fronton des Mairies d’Abidjan, n’est pas inappropriée et s’il ne faut pas rétablir sagement l’ancienne devise « portus et porta » qui se contentait de prendre acte de l’ouverture de la colonie sur l’extérieur et de son hospitalité.
Sans baigner dans un optimisme béat, je dirais qu’Abidjan a encore les potentialités pour ne point se laisser submerger par les flots d’une quelconque tempête. Abidjan n’est pas menacée de disparition, ni même de déclin, mais ceux qui ont la responsabilité de concevoir et de gérer la ville doivent revoir leur politique urbaine par une collaboration judicieuse entre urbanistes, architectes et sociologues.
Veuillez transmettre mon cri du cœur au Ministre de la Ville et de la Salubrité Urbaine : Abidjan ne doit pas se contenter d’être « le port et la porte du pays ». Il lui faut à jamais honorer sa fière devise : toujours plus haut que la mer. « Mari Semper Altior » !
Georgette ZAMBLE SOUKOU
Disours n°4 à Agora Toastmasters Club Abidjan
Golf Hôtel International
19 Janvier 2008
Disours n°4 à Agora Toastmasters Club Abidjan
Golf Hôtel International
19 Janvier 2008
A propos de l'auteur: Madame Georgette ZAMBLE SOUKOU est assistante Vice-Président Adhésions du Club AGORA Toastmasters Club d'Abidjan. Elle est psychologue et Directeur Général du Cabinet Expertises Mega, spécialisé dans l'ingénierie de développement local.
2 commentaires :
c'est un grand honneur pour moi de voir mon discours sur ce blog. Merci beaucoup.
Georgette ZAMBLE SOUKOU
Je n'hésiterais certainement pas à acheter les journaux s'ils prenaient le temps de diffuser ce genre d'article.
J'espère que celui là ne laissera pas indifférents nos dirigeants.
Bravo à vous Mme ZAMBLE SOUKOU d'oser montrer l'autre face de la "perle des lagunes".
Kadi TANOU
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