lundi 5 mai 2008

Jouons avec les Mots

Vive polémique à la télévision ivoirienne lors d’un débat sur l’état de la démocratie en Côte d’Ivoire. Le représentant du parti au pouvoir1 accuse le journaliste modérateur d’avoir pris position. Simplement, parce qu’il a qualifié l’argumentaire du représentant de l’opposition de « remarque juste » avant de lui passer la parole. Il estime donc injuste l’intervention du journaliste.

Il n’y avait peut être pas de mauvaise foi de la part du journaliste mais il y avait effectivement parti pris eu égard au terme utilisé. Quelle alternative pour apporter la réplique à des propos qualifiés de juste ? Comment porter la contradiction dans ce cas ? Le mot « juste » n’était pas juste. Il n’était pas approprié. Il coupait court à la discussion pour des raisons bien évidentes. Alors, quels adjectifs utiliser en lieu et place ? « Pertinent » ? Non, cet adjectif ne laisse aucune place à la contestation. « Judicieux » ? Assurément, oui ! Ce qualificatif introduit la notion de « jugement bon ou sain » et permet d’exprimer un autre point de vue.


En suivant ce débat à la télévision, avant l’avènement de la deuxième république, j’ai pris conscience de l’importance du choix des mots lorsque nous voulons transmettre nos idées, nos opinions ou nos propositions sans ambiguïté. Mais le choix des mots n’est pas une chose aisée et évidente dans la langue de Molière avec ses difficultés, ses faux amis, ses bizarreries, ses subtilités, ses nuances, etc. Eh oui, « l’écrit ne peut pas exprimer entièrement les paroles, les paroles ne peuvent pas exprimer complètement les pensées ».

Parcourons ensemble quelques expressions ou phrases que nous entendons ça et là lors de conférences, colloques, symposia, débats et conversations.
« Je me félicite » ; Une expression souvent utilisée par les politiciens. Comment pourrait-on se féliciter du travail effectué par les autres ? N’est-ce pas faire preuve d’égoïsme ? Pourquoi ne pas utiliser « je me réjouis » ?

« Vous conviendrez avec moi » ; Je trouve le « avec moi» de trop. Cette expression me semble prétentieuse. C’est un passage forcé pour amener autrui à partager ses propos, ses idées ou ses convictions. Elle met généralement l’interlocuteur mal à l’aise s’il ne partage pas votre opinion.

« Vous n’êtes pas sans savoir », pire « vous n’êtes pas sans ignorer », « tout le monde sait » ; Dans ce cas, si vous n’êtes pas d’accord avec votre interlocuteur, vous êtes un ignorant, un retardé ou tout au mieux un imbécile. A cela nous pouvons y ajouter de nombreux mots ou expressions de notre quotidien. Je ne prétends pas les connaître tous mais je voudrais revenir sur cette expression utilisée abondamment lors du forum sur la réconciliation nationale en Côte d’Ivoire : « ma part de vérité ». Vous avez alors la latitude de mentir mais c’est « votre » vérité. Y a-t-il plusieurs vérités ?

Terminons ce parcours avec l’expression « C’est ça qui est la vérité » ; Dans ce cas, toute autre assertion vous vaudra le titre de menteur. Pour vous ménager, l’on utilisera l’expression courtoise « vous avez dit des contrevérités », nuances, subtilités de la langue.

L’évolution de la langue ne facilite guère les choses. Aujourd’hui par exemple, les mots aveugle, sourd, paralysé, éboueur, prostitué ont été remplacés, à cause du caractère péjoratif qui leur était attribué, par non-voyant, non-entendant, handicapé moteur, technicien de surface, péripatéticienne. Cela change-t-il réellement quelque chose ?
Si « juste » n’est pas juste, y a-t-il un mot ou une expression justes ? Faut-il désespérer ? Oh, oui ! Il y a de quoi !

Néanmoins, les paroles de réconfort ou de compassion, les paroles d’encouragement, les félicitations, les mots ou expressions - merci, excusez-moi, pardon, s’il vous plaît - sont toujours bien à propos. Ils sont les bienvenus la plupart du temps. Bien sûr, ils ne sont pas en eux-mêmes suffisants ; Il faudrait y ajouter la sincérité, le ton, la manière et selon les circonstances une bonne dose de sourire qui ne vous coûte rien mais peut apporter beaucoup à autrui. Ces mots ou expressions vous ouvrent toutes les portes ou presque. N’exagérons pas ! Utilisez- les abondamment sans aucune retenue mais avec conviction et sincérité.

Le Sage recommande qu’il faudrait tourner sept fois la langue avant de parler. Ce qui nous laisse le temps de penser un moment avant de parler en utilisant les termes appropriés pour paraphraser La Bruyère. Il ne faut pas parler n’importe comment.

Les grands orateurs tels que Abraham Lincoln, Martin Luther King, John Fritzgerald Kennedy y sont parvenus. Pourquoi pas nous ? Avec des discours puissants, enflammés, intenses, persuasifs, stimulants et émouvants, utilisant judicieusement les techniques d’expression orale et figures de rhétorique, ils ont véhiculé leurs messages dont certains points culminants demeurent et pour longtemps encore dans nos esprits.

La langue, cette petite partie du corps humain a des pouvoirs insoupçonnés. Elle a le pouvoir de détruire mais aussi de construire. Souvenez-vous, souvenons-nous de la puissance dévastatrice de la parole dans la persécution des juifs par les nazis et de la radio « Mille collines » dans le génocide du Rwanda. La mort et la vie sont au pouvoir de la langue. Alors, souvenez-vous, souvenons-nous aussi de ce proverbe, cette maxime ou cette sentence selon les cas : « Assieds-toi de travers si tu veux mais parle juste ».

Les Livres Saints consacrent la puissance de la parole accordée au Chef d’œuvre de Dieu qu’est l’Homme. Sachez donc, Sachons donc utiliser et manier cet outil de communication divin à bon escient. Ah, j’ai oublié la phrase la plus juste, la plus importante ; Une phrase immortelle : « Je t’aime ».

Hyacinthe A. Touré, MSc
Discours à AGORA Toastmasters Club
Golf Hôtel International

Note :
1/ PDCI : Parti Démocratique de Côte d’Ivoire

A propos de l'auteur: Membre fondateur et Past-Président du Club AGORA Toastmasters Club d'Abidjan, Hyacinthe A. TOURE est aussi le Parrain et Mentor du Club OUAGA FORUM. Il est Expert en Systèmes d'Information et Consultant Formateur en Organisation et Informatique.

3 commentaires :

kadi TANOU a dit…

Je ne veux pas risquer de détruire ce discours avec des mots qui ne seront pas à leur place.Ils sont tellement bien disposés que je prendrai le temps de tourner ma langue sept fois avant de faire un commentaire.
Mais le plus important de ce que j'aurai à dire sera certainement "je t'aime"

Anonyme a dit…

CE QUI EST INTERESSANT DANS CE DISCOURS EST QU'IL EST REICHE EN ENSEIGNEMENTS ET EST UN HYMNE A L'AMOUR: AMOUR DE L'AUTRE, AMOUR DU VERBE, AMOUR TOUT SIMPLEMENT. J'AURAIS TELLEMENT AIME ETRE PRESENTE LORS DE LA PRESENTATION DE CE DISCOURS. QU'IL EST BEAU! FELICITATIONS A L'AUTEUR.
GEORGETTE ZAMBLE SOUKOU, PSYCHOLOGUE, DG DU CABINET EXPERTISES MEGA (INGENIERIE DE DEVELOPPEMENT LOCAL), COTE D'IVOIRE

Anonyme a dit…

salut Mr Touré! Toutes mes félicitations!Je me souviens que dans mon commentaire j'avais parlé d'employer judicieusement les mots à présent. Mais je n'ai pas pu vous le faire parvenir parce que je ne savais pas comment m'y prendre tout simplement. Vous êtes formidable! Bisou filtré et judicieux!!